Page:Gourmont - Le IIme Livre des masques, 1898.djvu/279

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qu’à des images inédites ou retravaillées, déformées par le passage forcé au laminoir du cerveau ; c’est encore plusieurs choses et d’abord c’est avoir un don particulier et une sensibilité spéciale. On peut cependant, par la volonté et par le travail, acquérir un style presque personnel en cultivant, selon sa direction naturelle, la faculté qu’a tout homme intelligent d’exprimer sa pensée au moyen de phrases. Trouver des phrases que nul n’a encore faites, en même temps claires, harmonieuses, justes, vivantes, émondées de tout parasitisme oratoire, de tout lieu commun, des phrases où les mots, même les plus ordinaires, prennent, comme les notes en musique, une valeur de position, des phrases un peu tourmentées, greffées adroitement de ces incidentes qui déconcertent, puis charment l’oreille et l’esprit lorsqu’on a saisi le ton et le mécanisme de l’accord, des phrases qui se meuvent comme des êtres, oui, qui semblent vivre d’une vie délicieusement factice, comme des créations de magie.

Quand on a goûté à ce vin on ne veut plus boire l’ordinaire vinasse des bas littérateurs. Si les Goncourt étaient devenus populaires, si la notion du style pouvait pénétrer dans les cerveaux