Page:Gourmont - Le IIme Livre des masques, 1898.djvu/35

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mais ce n’est qu’un compliment. Si la ligne qui sépare le vers de la prose est souvent devenue, en ces dernières années littéraires, d’une étroitesse presque invisible, elle persiste néanmoins ; à droite, c’est prose ; à gauche, c’est vers ; inexistante pour celui qui passe, les yeux vagues, elle est là, indélébile, pour celui qui regarde. Le rythme du vers est indépendant de la phrase grammaticale ; il place ses temps forts sur des sons et non sur des sens. Le rythme de la prose est dépendant de la phrase grammaticale ; il place ses temps forts sur des sens et non sur des sons. Et comme le son et le sens ne peuvent que très rarement coïncider, la prose sacrifie le son et le vers sacrifie le sens. Voilà une distinction sommaire qui peut suffire, provisoirement.

La question ne se pose d’ailleurs pas à propos des Ballades Françaises, lesquelles sont bien d’un bout à l’autre en vers, ici très pittoresques, très vifs, là très sobres, très beaux ; et non pas même en vers libres (sauf quelques pages) ; en ce vieux vers « nombreux », mais dégagé heureusement de la tyrannie des muettes, ces princesses qu’on ne sait comment saluer. Avec un instinct sûr d’homme de l’Isle-de-France, il les a remises à leur vraie place,