Page:Gourmont - Le IIme Livre des masques, 1898.djvu/53

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toutes les bouteilles sont pleines, sa journée est finie. Rien que cela, sans une réflexion d’auteur (cela est réprouvé par Flaubert), sans un incident (autre que, par exemple, la crise d’un bouchon avarié), sans un geste inutile, c’est-à-dire capable de faire soupçonner qu’il y a peut-être, derrière les murs, une atmosphère de fleurs, de ciel et d’idées. Ce M. Th… est resté pour moi, car son esprit me charmait, le type de l’écrivain qui n’écrit pas. Si sa vie n’a été qu’une longue ironie, s’il y avait de l’amertume au fond de cette délectation morose, nul ne s’en est jamais douté : on l’a toujours vu fidèle à conformer sa conduite à des principes qu’il avait patiemment déduits de son expérience et de ses lectures.

M. Félix Fénéon n’est pas moins mystérieux que ce théoricien secret.

Ne jamais écrire, dédaigner cela ; mais avoir écrit, avoir prouvé un talent net dans l’exposé d’idées nouvelles, et tout d’un coup se taire ? Je crois qu’il y a des esprits satisfaits dès qu’ils savent leur valeur ; un seul essai les rassure. Ainsi des hommes froids ayant expérimenté leur virilité abandonnent un jeu qui pour eux n’était que la recherche d’une preuve. M. Fénéon est un cerveau froid.