Page:Gourmont - Le Livre des masques, 1921.djvu/154

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nombre, en te disant que toi aussi tu ne seras pas plus que ce chien. Quel mystère cherches-tu ? Ni moi, ni les quatre pattes nageoires de l’ours marin de l’Océan Boréal, n’avons pu trouver le problème de la vie… Quel est cet être, là-bas, à l’horizon, et qui ose approcher de moi, sans peur, à sauts obliques et tourmentés ? et quelle majesté mêlée d’une douceur sereine ! Son regard, quoique doux, est profond. Ses paupières énormes jouent avec la brise et paraissent vivre. Il m’est inconnu. En fixant ses yeux monstrueux, mon corps tremble… Il y a comme une auréole de lumière éblouissante autour de lui… Qu’il est beau… Tu dois être puissant, car tu as une figure plus qu’humaine, triste comme l’univers, belle comme le suicide… Comment !… c’est toi, crapaud !… gros crapaud !… infortuné crapaud !… Pardonne !… Que viens-tu faire sur cette terre où sont les maudits ? Mais qu’as-tu donc fait de tes pustules visqueuses et fétides, pour avoir l’air si doux ? Quand tu descendis d’en haut… je te vis ! Pauvre crapaud ! Comme alors je pensais à l’infini, en même temps qu’à ma faiblesse… Depuis que tu m’es apparu monarque des étangs et des marécages ! couvert d’une gloire qui n’ap-