Page:Gourmont - Lettres à Sixtine, 1921.djvu/118

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la force de notre passion de nous être tant et si longtemps désirés ? Je t’ai respectée, je t’ai traitée comme une reine de qui on attend le signal, auquel on ne le donne pas ; c’est ainsi que je trouvais en toi quelque chose que les autres n’ont pas ; c’est que je ne voulais pas forcer l’éclosion de la fleur, c’est que je te voulais amener à ce point où en te donnant tu te donnais pour toujours, sachant que c’était pour toujours. Je me sens comme forcé de le dire encore, tant cela me paraît étrange : Tout est changé ici ; je ne reconnais rien ; là où tu n’es pas, rien ne m’intéresse. La passion que tu cherchais, tu l’as créée, et quel chef-d’œuvre tu as fait !

Tu auras été un jour sans lettre. Ce que j’avais écrit était trop noir. Tu as assez de tes tristesses sans que j’y accumule les rêveries d’un homme malade. Avec ta lettre, au moins, je vais vivre un peu.