Page:Gourmont - Pendant l’orage.djvu/15

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souvenir, à quelque témoin d’hier, non encore pulvérisé, cette épave tout à coup échappe à ses doigts de fantôme et, fantôme elle-même, fond dans l’air épais, se répand en vapeur, en quelque chose de mou et de fluide, qui s’en va. Parfois ce pauvre être désemparé arrive à saisir un livre dans sa bibliothèque, un livre jadis aimé dont il se propose un grand plaisir, mais à mesure qu’il lit les pages de jadis, ce plaisir rancit, comme un parfum qui peu à peu tourne à l’aigre. Et les êtres qu’il rencontre lui disent, d’une voix d’au-delà : « Nous sommes tous ainsi, tous nous avons pareille aventure, nous flottons et nous flotterons, fantômes, éternellement. » C’est un cauchemar, assurément, un cauchemar. Je me réveillerai, car il faut que je me réveille.