Page:Gourmont - Pendant l’orage.djvu/8

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

SOUVENIR



10 octobre 1914.


Le dernier article que j’écrivis pour La France, le 2 août, était intitulé Le Tocsin. C’est par ce son d’alarme que nous avions appris, la veille, vers cinq heures, la mobilisation générale. Que de fois depuis je l’ai entendu dans mes nuits, et que de fois sans doute je l’entendrai encore ! Nous ne savions pas alors, dans ce coin de la France, que c’était aussi un signal de guerre, mais nous en avions le pressentiment et dès lors commença pour nous l’ère de l’angoisse. Deux heures plus tard, les paysans affluaient à la gare, partaient, quelques-uns en uniforme, parce qu’ils étaient en congé. C’est une soirée que je n’oublierai jamais. Les jours suivants, à l’angoisse se mêla je ne sais quel obscur sentiment de confiance, né de l’admiration pour l’ordre et la régularité qui se montraient partout. Plus tard, un jour de marché, j’entendis un paysan dire avec une énergie que je ne soupçonnais pas : « Nous sommes sept dans ma famille qui partons tous. Nous n’emporterons ni or ni argent, car si nous