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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér1, 1922.djvu/103

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marquées, dans une sensibilité consciente, elles engendrent nécessairement le scepticisme. Nous n’osons condamner des goûts que nous ne sommes pas éloignés de partager, quoique nous ne les ayons pas encore satisfaits, ni des opinions qui ne sont pas sans nous agréer à de certains moments, ni des actes qui nous font envie secrètement ; notre bonne foi n’est pas oscillante ; elle est, comme notre sensibilité, successive : il est peu d’aveux qui ne lui plaisent, tour à tour, de même que des musiques ennemies, si notre oreille est libre de principes, lui peuvent plaire les unes après les autres.

Ce scepticisme par excès d’aptitudes à sentir est assez rare ; il en est d’autres, moins estimables. Il y a le scepticisme du sot, qui ne s’intéresse à rien ; celui du lâche, qui n’ose dire sa pensée par peur des responsabilités ; le scepticisme du timide, qui craint d’être jugé ; celui du débile, dont la mobilité fait parfois figure de diversité ; celui du prudent, qui n’ose se décider ; celui de l’ambitieux, qui se réserve ; celui du voluptueux, qui se laisse, comme un habile nageur, porter de vague en vague, par le rythme de la vie. L’état de scepticisme est si beau qu’il a toujours fait envie au commun des hommes ; ils y plient leurs vices et leurs défaillances : l’hy-