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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér1, 1922.djvu/13

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l’Abbesse de Jouarre, et plusieurs autres fantaisies également inutiles à sa gloire, mais dont l’inutilité même prouve à quel point le goût du jeu resta développé en lui jusqu’à la veille de sa mort.

C’est le privilège des grandes intelligences qu’elles gardent toujours la faculté du sourire et parfois du rire. L’enfant ne s’est pas aboli entièrement dans l’homme mûr ; il s’y dissimule, comme dans une cachette, prêt à sortir dès qu’on le lui permettra.

L’enfant est de l’intelligence presque pure, quand il est intelligent ; car il y a des enfants stupides, c’est-à-dire malades ou dégénérés. La plupart des hommes ont eu leur grande période intellectuelle de huit à quatorze ans. Souvent elle se prolonge jusqu’aux confins de la période sensuelle, qui coïncide avec le plein épanouissement physique. Elle dépasse rarement cette période, qui est critique : absorbé par des plaisirs qui peuvent devenir tyranniques, préoccupé de l’avenir, chargé de soins et d’affaires, l’homme périclite intellectuellement. Cela est fort visible dans le monde littéraire. Sur vingt jeunes gens de dix-huit ans qui semblent d’intelligence à peu près égale, il y en aura la moitié qui, dix ans plus tard, auront baissé ; le reste, sauf un ou deux, demeure stationnaire. Mais demeurer sta-