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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér1, 1922.djvu/136

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dit de la nature, car l’homme est ce qu’il est, nécessairement, et la nature se modèle, nécessairement, sur le cerveau de l’homme qui la sent ou qui la contemple. Jean Dolent, qui ne croit guère au réel, accepterait cela. « Le réel est à l’étude », dit-il avec négligence. En attendant que l’expérience ait conclu, le vrai réel, c’est l’art. En dehors de l’art, il n’y a rien d’assuré. Et il accumule, pour exprimer son souriant scepticisme, les tours de pensée les plus subtils et les plus inattendus :

« J’ai changé bien des fois de certitude… —

Les maîtres vont de la certitude au doute. —

L’horreur esthétique de l’évidence… —

Les vérités embellies d’invraisemblance… —

Les poètes, ces amants de la vérité ornée… —

Accorder à l’évidence la valeur d’une probabilité. »

Avec ce dédain des choses trop réelles, trop vraies, trop en lumière, Jean Dolent devait se faire une esthétique particulière, l’esthétique de l’indécis, de l’imprécis, du vague, de la nuance. Avant Verlaine, il la formula, et, de même que Mallarmé, il la pratiqua avec délices dans sa prose pleine de réticences, de trous soudains. Le ruisseau qui chantait, tout à coup disparaît perdu sous l’enchevêtre-