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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér1, 1922.djvu/151

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dépouillé du costume social, tout près d’être dieu ou l’animal pur, homme enfin et rien de plus qu’une physiologie. Voilà le rempart contre l’abstraction. Le héros, humainement tout-puissant, est charnel ; il saigne et il pleure, et il râle ; et ces émotions souveraines s’exaltent librement sans autre obstacle que les limites qu’une sensibilité se pose à elle-même.

La tragédie développait les originalités et les égoïsmes ; à défaut de dieux et de héros, elle créait des demi-dieux de hasard, orgueilleux aventuriers sans peur que de la force, leur maîtresse et leur ennemie, des hommes sans méthode, mais supérieurs dans leur désordre aux plus beaux produits de la règle et de l’obéissance. Le drame d’aujourd’hui et les romans, en avertissant les hommes qu’ils sont soumis les uns aux autres et solidaires, arrêtent les efforts individuels vers la liberté. Il n’y a plus guère d’hommes libres. Les plus forts ménagent la clientèle qui nourrit leur vanité ; la foule dirige les gestes des héros ; les épaules les plus dédaigneuses ploient sous les regards anonymes du peuple.

L’homme qui assassina l’impératrice d’Autriche obéit peut-être à un instinct plus haut que son