Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér1, 1922.djvu/224

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au lecteur ingénu une application excessive. Cela tient à deux causes : l’objectivité constante et l’imprécision du langage. « On croit avoir présent devant soi, disait Gœthe, ce que je décris dans mes poésies ; j’ai dû cette qualité à l’habitude prise par mes yeux de regarder les objets avec attention, ce qui m’a donné aussi beaucoup de connaissances précieuses. » Le contraire exactement se dirait volontiers des poésies de M. Verhaeren. À aucun moment il ne réussit à nous mettre sous les yeux le tableau précis de ses visions. Tout le dessin reste noyé dans un vague magnifiquement brumeux, avec, çà et là, quelques rais de lumière rougeâtre, clair de lune dans le brouillard ou incendie lointain. L’œil de l’Allemand Gœthe était latin ; l’œil du Flamand Verhaeren est allemand.

Quelles sont ces campagnes dont il nous décrit la tristesse fiévreuse et les hontes blêmes ? Où s’étendent-elles dans la réalité ? Nulle part. C’est le poète qui est halluciné. Il n’a pas considéré les champs et les paysans avec patience ; il ne les a pas interrogés avec douceur ; il est entré violemment dans l’âme de la nature et dans celle des hommes et il n’y a vu que ce qui était en lui-même : une colère de prophète contre la laideur de