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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér1, 1922.djvu/302

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elle se laisse mourir. Sa mort, qui n’est pas moins miraculeuse que sa vie, n’est précédée d’aucune déchéance, et « son dernier moment est aussi serein que tous les autres ».

Ici finit le « portrait de la femme naturelle ». Alors Laclos se demande naïvement : Mais cette femme n’esl-elle pas une chimère ? Non, répond-il, c’est, trait pour trait, l’histoire fidèle de la femme dans l’état de la nature.

Ces rêveries avaient eu déjà, comme nous l’avons dit, à l’époque où écrivait Laclos, deux grands contradicteurs, Buffon et Voltaire, l’un parlant au nom de la science véritable, l’autre au nom du bon sens. Laclos connaît leurs objections : « On s’obstine à nous dire : cet état n’a jamais existé, il est impossible, il est invraisemblable. Cette question mérite d’être discutée. »

Elle ne mérite plus d’être discutée, mais elle mérite encore d’être exposée, afin de montrer que, même aux époques où l’esprit humain a le plus follement divagué, il a toujours pu entendre, grave ou sarcastique, la voix de la sagesse. Quand la France s’empoisonnait aux paroles malsaines de Jean-Jacques Rousseau, elle avait sous la main, versé d’avance ou à mesure, l’antidote.