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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér1, 1922.djvu/304

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taine logique qui nous manque fâcheusement. Mais tout le monde ne leur concédait pas la légitimité de cette première partie de leur raisonnement. Ils avaient un adversaire particulièrement redoutable, Buffon.

Buffon est le créateur de la science que l’on nomme aujourd’hui anthropologie et qu’il appelait, lui, en meilleur français : histoire naturelle de l’homme. Il avait lu tous les récits de voyages, à une époque où les voyageurs trouvaient encore, répandu dans le monde entier, à l’état véritablement naturel, sans aucun vernis de christianisme, le Sauvage. S’il y a un homme qui puisse être considéré comme l’homme naturel, c’est en effet l’habitant du Congo ou celui de la Terre de Feu. Nulle civilisation ne l’a corrompu. Il est nu, il n’a guère que des instincts ; quand il a mangé à sa faim, il est heureux ; ses amours sont sans pudeur ; il ne songe qu’à l’heure présente. « Peut-on dire de bonne foi, continue Buffon, que cet état mérite nos regrets, que l’homme, animal farouche, fut plus digne que l’homme, citoyen civilisé ? Si cela est, disons en même temps qu’il est plus doux de végéter que de vivre, de ne rien appéter que de satisfaire son appétit, de dormir d’un sommeil apathi-