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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér1, 1922.djvu/76

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boire à la source qu’après le passage de la caravane !

Depuis dix ans, et plus, presque pas un critique de profession n’a porté le premier sur un écrivain nouveau un jugement décisif : de si heureuses et même glorieuses aventures ne sont échues qu’à des romanciers, à des poètes, à des « contemplateurs », à M. Mirbeau, à M. Coppée, à M. de Vogüé. C’est que le critique de métier, malgré tout le talent qu’il peut avoir, est dominé par deux vertus — ou deux défauts, si l’on veut : — la prudence et le scepticisme. Si une œuvre nouvelle est originale, elle lui paraît extravagante ; il fait le compte des règles qui sont méconnues, des usages qui sont blessés, et à mesure que les infractions s’accumulent son plaisir diminue. Il finit par se persuader que les œuvres vraiment supérieures ont toujours respecté la tradition des idées et la tradition de la forme, et il rejette parmi les productions bizarres le livre qui l’avait charmé tout d’abord. Le scepticisme professionnel a les mêmes effets, mais plus accentués. Le critique sceptique, toujours en défiance même contre sa propre sensibilité, est mené par la peur d’être dupe ; il adopte volontiers le ton de l’ironie ou même celui du badinage. Il craint l’enthousiasme comme