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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér3, 1924.djvu/109

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tion d’un certain M. Despois : « Le Dante de Rivavol est poudré et pailleté à la mode de 1784… On y sent le parfum fade du xviiie siècle vieillissant et comme une odeur de boudoir…[1]. » J’ai entendu soutenir à un homme de goût que l’Homère de madame Dacier donnait une impression homérique meilleure que celui de Leconte de Lisle. C’est que, dans une traduction, il y a deux sortes d’exactitudes, celle de l’esprit et celle de la lettre. Mais un grand poète n’a vraiment de sens que traduit par un grand écrivain : avant le Milton de Chateaubriand, il y eut le Dante de Kivarol ; les systèmes diffèrent, les effets sont presque pareils.

J’avoue d’ailleurs que cet Enfer n’est plus de notre goût. Il ne répond plus à l’idée que, même ignorants, nous nous faisons de Dante Alighieri. Pourtant, il y a encore du charme en beaucoup de ses pages : en nulle traduction l’épisode de Francesca de Rimini n’a plus de douceur que dans celle

  1. Ce Despois a écrit, avec la même bonne foi et la même sagacité, un ouvrage dont le titre voudrait être ironique, le Vandalisme révolutionnaire, où il prouve aisément que tout, eu France, et la France même, date de la Révolution. Dans un autre genre, le genre badin, M. Deschauel a rédigé une Histoire de la conversation en France, sans nommer Rivarol. Son raisonnement est excellent : Rivarol n’ayant été ni un acteur, ni un précurseur, ni un fils de la Révolution, ne peut avoir d’esprit. Uu peu moins fanatique, les moines du douzième siècle, pour avoir le droit d’admirer Virgile, en avaient fait un prophète. En général, tout le monde est de l’avis de l’abbé Noël, abbé révolutionnaire : a Je ne puis croire, disiait-il, qu’un homme qui ne pense pas comme moi soit un honnête homme. »