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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér3, 1924.djvu/168

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des civilisations qui n’ont pas connu la vapeur ; plus tard, on se moquera de nous, qui ne faisons encore que vingt-cinq lieues à l’heure. Mais quel rapport tout cela a-t il avec les bonheurs personnels, dont la somme fait le bonheur social ? Le bonheur, c’est à cela enfin que se réduit la politique. Toute théorie politique est une théorie du bonheur. D’où la diversité des opinions, parallèle à la diversité des goûts. « J’ai entendu dire au célèbre Cuvier, dans une de ces soirées curieuses où il réunissait à ses amis français l’élite des étrangers : « Voulez-vous vous guérir de cette horreur assez générale qu’inspirent les vers et les gros insectes, étudiez leurs amours, comprenez les actions auxquelles ils se livrent toute la journée sous vos yeux pour trouver leur subsistance[1]. » Pour se guérir des dégoûts ou des haines de partisan, il faut incorporer l’activité politique à l’activité générale de l’animal humain, et comprendre qu’il ne peut y avoir un de ses actes, conscients ou inconscients, dont le but ne soit la recherche du bonheur. Aucun mot ne nous laissera dupe : Vérité, justice, liberté, socialisme, anarchie, autorité, fraternité, vertu, tout cela veut dire bonheur. Mais l’homme cherche toujours, trouve toujours, cherche encore et n’est jamais heu-

  1. Sthendhal, Mémoires d’un touriste, t. II, p. 22.