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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér3, 1924.djvu/198

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moment une sorte de célébrité mystérieuse. Il ne faut pas oublier qu’en ce temps-là le Philinte de Fabre d’Églantine passait pour un chef-d’œuvre pas très loin du Misanthrope de Molière. La moindre de ses dépouilles était tenue pour une chose précieuse, dont les adaptateurs se disputaient la restauration et le succès probable. Il est fâcheux que Stendhal, si indiscret d’habitude, ait été si sobre de renseignements sur les deux pièces en question. Enfin, si on les retrouve, on pourra voir du moins quel parti les auteurs ont tiré du sujet si piquant imaginé par Fabre d’Églantine. Stendhal rapproche l’Orange de Malte de la Vérité dans le vin. C’est aller loin dans l’éloge, car la pièce de Collé est un incontestable chef-d’œuvre, malgré quelques gaucheries. Acceptons ce jugement, puisque, aussi bien, il nous est impossible de le contrôler. On sait que Stendhal fut poursuivi toute sa vie par ces syllabes hermétiques : « l’Orange de Malte. » Il écrivit lui-même sous ce titre un roman inachevé qui est devenu Lucien Leuwen. S’il y renonça, au dernier moment, c’est qu’il ne croyait peut-être pas la pièce de Fabre d’Églantine définitivement perdue. Ayons le même espoir, pour la gloire de ce poète charmant, pour l’auteur d’Il pleut, il pleut, bergère !