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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér3, 1924.djvu/219

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Il a un vif sentiment du rythme. Son vers marche d’un pas sûr, porté par d’harmonieux mouvements, et, encore aujourd’hui, se prête à merveille à la diction poétique. Une de ses pièces les plus nombreuses, le Melon, a passé récemment par cette épreuve ; ce fut, paraît-il, un enchantement.

San vocabulaire est riche, presque autant que celui de Du Bartas, et il le manie avec beaucoup plus d’adresse, quoique pas toujours avec un goût très sûr. Mais le goût varie avec les milieux, avec les générations, et nous ne pouvons, en équité, reprocher à Saint-Amant de choquer parfois certaines délicatesses décadentes. Sainte-Beuve, souvent timoré, recule devant la limace et le crapaud de la Solitude. Il admet le pendu. Le pendu est romantique. En 1853, Victor Hugo n’avait pas encore réhabilité le crapaud et le crapaud était encore à la porte du temple du goût. Disons plutôt qu’avec son crapaud et sa limace Saint-Amant, comme Théophile Gautier l’a bien vu, devance le goût moderne pour toutes les formes de la vie animale.

Saint-Amant connaît la nature entière, les champs, les bois, la mer. Il a navigué, il a vu les deux mondes, des Antilles à la Méditerranée, de Londres à Varsovie, de Stockholm à Rome et au Maroc. C’est un hardi compagnon que rien n’étonne. Comment aurait-il été compris par Boileau, petit bourgeois