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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér3, 1924.djvu/270

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cette indifférence. II interpellait la loi, qui s’appelait la loi Julia : « Dors-tu ? Ou’attends-tu pour sévir ? » La loi dormait si profondément qu’elle ne se réveilla jamais plus avant le règne du christianisme. Elle avait d’ailleurs plusieurs mérites, cette loi Julia, outre celui de n’être pas appliquée. Elle défendait au mari outragé de se faire justice lui-même. S’il tuait sa femme, surprise en flagrant délit, il était assimilé à un meurtrier ordinaire. On ne tolérait sa violence, et encore jusqu’à un certain point, que contre le complice. S’il lui était défendu de tuer sa femme, il lui était également défendu de lui pardonner ; il devait divorcer incontinent, ce qui mettait fin à l’aventure par la solution la plus logique. Sa mansuétude l’aurait fait accuser de complaisance coupable ; il eût été traité comme un ruffian, comme un leno. Tout cela, d’ailleurs, je le répète, était théorique. Il ne faut point juger des mœurs d’après les lois. Les lois ne témoignent souvent que d’intentions passagères ; elles ne reflètent souvent que l’opinion d’un groupe qui a réussi pour un moment à dominer les volontés générales. Il faut aussi, dans l’étude du passé, s’en référer à ce principe que, plus une loi est rude, moins elle est appliquée. Cependant, les sévérités du christianisme vont venir le contredire pour une période assez longue. C’est que le christianisme, comme