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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér3, 1924.djvu/289

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Du temps qu’il était un bon curé de campagne, on l’appelait donc signore Sarto, ce qui se traduit exactement en français par M. Letailleur. Que d’aristocratiques dévotes seraient froissées d’apprendre cela ! La bénédiction apostolique de Pie X, cela est touchant, mais celle de M. Letailleur, fi ! Comment prendre au sérieux un homme dont le nom s’enveloppe de si peu de mystère ? Passe encore pour Sarto, mais Letailleur ! C’est que les noms étrangers ont presque toujours pour nous un charme qui vient de leur absence de signification. Leur rareté leur donne je ne sais quel air de beauté et, pour les noms italiens, il s’y joint je ne sais quelle musique. Que d’illusions tomberaient si on nous les servait tout traduits, ces beaux noms de poésie et de légende ! Béatrice Portinari, celle de Dante, nous donnerait quelque chose comme Béatrice Portier ; Béatrice Cenci deviendrait Béatrice Chiffon. Boccace, cela répond à Bouchard ; Le Tasse, à Blaireau. Manzoni, l’auteur attendrissant des Fiancés, c’est à peu près M. Grosbœuf. M. d’Aununzio deviendrait en français M. de la Nouvelle. On sait que le nom de la célèbre famille des Médicis répond tout bonnement au mot médecin. Le vieux mot français pour dire médecin était mire, de sorte que Catherine de Médicis ne donne pas, mis en langage clair, quelque chose de plus brillant ni de