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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér3, 1924.djvu/332

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redoutait fort le cabinet noir ; mais imagina-t-elle jamais que les magistrats de son arrière-petit-fils l’accuseraient d’outrager la morale publique et religieuse ? Là, nous sommes en pleine bêtise et en pleine courtisanerie. Comment qualifier le jugement qui condamne à la destruction un des chefs-d’œuvre du roman français, les Liaisons dangereuses ? C’est du pur vandalisme. La cour royale, rendons-lui cette légère justice, n’osa pas condamner l’éditeur : elle apaisa sur le livre sa frénésie morale. On vit des choses peut-être plus inconcevables encore : un éditeur, nommé Deshayes, condamné en 1845 à huit mois de prison pour avoir publié une édition illustrée de la Pucelle, de Voltaire, conforme à l’édition originale. Nous sortons à peine de la barbarie. Je voudrais continuer l’examen de ces mœurs singulières, mais je manque de documents sur les méfaits littéraires de la magistrature du second Empire et de l’Ordre moral. Tout le monde se souvient de la condamnation de Baudelaire et de Barbey d’Aurevilly, des poursuites contre Flaubert et, tout près de nous, contre Richepin, contre Descaves, Maizeroy et plusieurs autres. Malgré les tentatives de M. Bérenger pour le faire revivre, notre Index national semble mort. C’est, à mon avis du moins, un grand honneur pour le régime actuel d’avoir compris que l’écrivain et l’artiste doivent être libres