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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér3, 1924.djvu/397

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yeux tous mes jours et toutes mes nuits. Quant à mon fiancé Gino, je ne l’ai jamais revu, je n’ai pas prononcé son nom et nul ne l’a’prononcé devant moi. Que ferais-je d’un fiancé ? Et que ferais-je d’un mari ? La pauvre ancienne jeune fille a épuisé, c’est le cas de le dire, « la coupe de toutes les voluptés ». Elle n’a plus rien à apprendre ; elle pourrait être un maître accompli dans l’art dont le nom seul me donne des frissons.

Je songe parfois que Caroline fut la plus raisonnable. Une prostituée qui aime son état sert mieux la vie qu’une échappée des harems qui pleure ses péchés. Les prières sont vaines. J’entends le bruit des chapelets sur les dalles quand les vieilles femmes se baissent pour baiser le pavé ; on dirait un bruit d’osselets, un bruit de mort. Si je dois jamais revivre, ce sera dans la souillure dont j’ai gardé l’odeur. Mais il vaut peut-être mieux que je ne revive pas.

Adieu. Écrivez mon histoire, ami des Anciennes Jeunes filles. Il en fut de toute sorte. Plus d’une vécut ma vie ; plus d’une encore vécut celle de Caroline. Écrivez notre histoire. Elle plaira aux hommes, qui sont tous libertins, et aux femmes, qui sont curieuses de connaître les aventures extraordinaires où nous sommes exposées.

J’aime peut-être encore mieux être Corinna que