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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér3, 1924.djvu/63

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bilité littéraire, comment il créait une beauté nouvelle.

Je ne suis pas romantique, mais je ne suis pas classique non plus. Je ne prends pas grand plaisir à Lamartine, mais je n’en prends pas davantage à Corneille. Mon goût irait plutôt vers les choses très anciennes en même temps que vers les choses très nouvelles. Je me sens chez moi avant Boileau et après Baudelaire. Entre ces deux périodes, l’expression des sentiments me semble ou glaciale ou baroque. Ni la tristesse d’Olympio ne m’émeut, ni la douleur de Rodrigue. Ces humanités me sont inhumaines. Du dix-septième et du dix-huitième siècle, je goûte ou la raison ou l’esprit, La Rochefoucauld ou Buffon, Molière ou Voltaire. Si ces siècles ont senti leur vie, ils n’ont pas su, à de biens rares exceptions près, rendre vivante leur sensibilité. Les romantiques n’ont guère réussi, eux, qu’à en fixer la grimace. La correspondance des Amants de Venise pourrait faire prendre l’amour en dégoût.

Mais je sens très bien que, sans la froideur classique, sans la frénésie romantique, notre moment littéraire, à la fois baudelairien et renanien, aurait été impossible. Nous sommes un dosage de ces deux éléments et de beaucoup d’autres. Oter le romantisme ? Vous nous ramenez à Crébillon, aux deux Crébillon. Encore qu’Hernani soit absurde, il est