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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér3, 1924.djvu/97

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Flaubert lui écrivait avec candeur : « Tu me donnes tout, pauvre ange, ta gloire, ta poésie, ton oœur, l’amour des gens qui te convoitent. » Une autre fois : « J’ai lu la lettre de Platon… » Flaubert ne sut la vérité que beaucoup plus tard. Peu au courant de la vie parisienne, il s’était laissé persuader par Louise Colet que Cousin n’avait pour elle qu’un amour aussi platonique que philosophique. Toutes ces lettres de Flaubert à cette femme passionnée et un peu hystérique sont bien curieuses par le contraste de la maturité de l’esprit et de la jeunesse du cœur. Elle avait été pour lui l’initiatrice. Il l’avoue et on le devinerait sans ses aveux répétés. Louise Colet le troubla immensément : « Tu donnerais de l’amour à un mort, comment veux-tu que je ne t’aime pas ? » Il avait conscience d’être tombé dans un gouffre, mais une fois tombé, il y restait avec volupté. Il se rassasia vite cependant, espaça les séjours qu’il faisait à Paris, se terra de plus en plus à Croisset, puis disparut, parti pour l’Orient. Elle le reprit, dès son retour, et la liaison dura encore deux ans ; mais, dans les derniers temps, Flaubert ne venait plus à Paris qu’en cachette, ne sortant qu’en voiture, stores baissés, craignant le tigre prêt à bondir sur lui. Cela finit par une scène presque tragique où ce fut le tigre qui manqua d’être étouffé. Entre temps, elle s’était