Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér4, 1927.djvu/100

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dé. Les vrais philosophes sont d’allure plus souriante et plus détachée, car la philosophie consiste à n’en pas avoir et à considérer les choses avec une ironie amusée, à peine irritée parfois. Mais il y a bien de la distinction d’esprit dans cet essai hautain et heureusement maladroit où l’auteur a suivi la logique de sa pensée avec une fermeté rare, sans se se soucier de l’ahurissement probable du public des théâtres, peu habitué à ce jeu trop sérieux des idées. Les personnages, assez vivants, en somme, quoique d’une vie un peu solennelle, parlent-ils bien selon leur condition ? Habituée à la méditation philosophique et solitaire, Marie Lenéru les a créés à sa ressemblance et ils ont toujours l’air d’avoir écrit d’avance et appris par cœur leurs questions et leurs répliques. Il n’y a dans cette œuvre qu’une expérience de la pensée, nulle expérience de la vie. C’est du théâtre à logique intérieure, inflexible et forte, où les passions n’ont qu’une base intellectuelle, sont dépourvues de ces racines profondes par où le sentiment les nourrit et les renouvelle. Trop de raisonnement et pas assez d’amour, trop d’intelligence et pas assez de sentiment, se croirait-on devant l’œuvre d’une jeune fille ? Quand Marie Lenéru aura acquis quelque expérience de la vie et développé sa sensibilité encore latente, elle deviendra probablement une des femmes les plus remarquables de sa génération : cette magnifique nature