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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér4, 1927.djvu/266

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bliable. Telle de ses pages pourrait avoir été écrite l’année dernière tant elle est fraîche et sans rides : « Automne, doux soir de l’année, tu soulages nos cœurs attendris et pacifiés, tu portes avec nous le fardeau de la vie ! » Pour peu qu’il consente à laisser déborder la poésie qui fermente au fond de son cœur, trop souvent glacé par le raisonnement, Senancour est un écrivain éternel. C’est Sainte-Beuve qui attira l’attention sur ce magnifique poème en prose, qui est aussi l’expression même du panthéisme enivré, tel que Maurice de Guérin le retrouvera plus tard.

Chose singulière, ce morceau, capital pour la gloire de l’écrivain, ne se retrouve pas dans la troisième et dernière édition, ni probablement dans la deuxième des Rêveries. C’est que Senancour a passé la dernière moitié de sa vie non seulement à se corriger, comme je l’ai dit, mais à s’élaguer, à se gâter, à s’amoindrir. Son véritable but, qu’il avoue ingénument dans une note des troisièmes Rêveries, mais qu’il qualifie lui-même de chimérique, était de fondre tous ses livres en un seul. Il avait commencé par Obermann, qu’il mit en lambeaux, distribués dans des réimpressions des Rêveries et de l’Amour. Et ces deux livres auraient disparu à leur tour, peut-être, sans l’intervention de son ami, M. de Boisjolin, qui lui représenta ce qu’une telle conduite avait d’injurieux pour son propre génie. J’ai