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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér4, 1927.djvu/290

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lui, c’était encore le pain des littérateurs, le pain des poètes. Cet homme borné et sans aucune imagination ne tire jamais rien de lui-même. Presque sous chacun de ses vers on peut noter la pensée latine ou grecque qu’il a imitée, sans la comprendre souvent, comme ce passage de Juvénal où il fait dire au poète latin tout le contraire de ce qu’il avait réellement exprimé. À défaut des anciens, il pille ses prédécesseurs français, Régnier, Vauquelin et d’autres, auxquels il doit ce qu’il y a de plus piquant et d’un peu mouvementé dans son œuvre.

En somme, Boileau est un arrangeur assez adroit. Il est, hélas ! plein de bon sens. Son idéal, c’est la platitude raisonnable, çà et là relevée d’une pointe à l’italienne, d’une allusion à l’événement du jour. L’œuvre de Boileau, ce sont des chroniques laborieusement versifiées comme on les fait apprendre par cœur à tous les enfants qui font leurs classes, depuis deux cents ans, elles ont pris une importance à quoi elles n’étaient pas destinées : les Embarras de Paris, le Repas ridicule, quels enfantillages ! Son œuvre la plus considérable, l’Art poétique, est pleine de niaiseries et d’erreurs ; son Lutrin est un monument de puérilité.

Cet homme a été tellement surfait qu’on est toujours tenté de le mépriser trop. Soyons juste. Il a une place, et alors une très bonne place, parmi ces poètes de second rang qu’il a si maltraités et qui