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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér5, 1923.djvu/104

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multipliées, etc. » On a été bien injuste envers Delille. On n’a considéré que les préjugés poétiques qu’il avait respectés, sans tenir nul compte de ceux qu’il avait sinon détruits, du moins affaiblis, comme il le dit modestement lui-même. La légende veut qu’il ait eu horreur du mot propre, mais c’est tout le contraire. Il n’hésite jamais, quand le mécanisme de sa versification le permet, à employer ce mot, et s’il se sert d’une périphrase, c’est uniquement pour varier la période poétique et lui enlever la sèche monotonie que lui donnerait une nomenclature trop précise. Au reste, toute poésie contient des périphrases, même celle de Hugo, dont M. Pellissier a cité quelques exemples, et si celles des poètes contemporains passent inaperçues, elles le doivent à leur imprécision. Je me garderai bien de citer aucun exemple ; on le fera à loisir dans un siècle, sans doute avant, mais si on accumulait toutes les manières de ne pas dire le mot qu’il faut imaginées par nos contemporains, on rirait peut-être d’eux autant que de l’abbé Delille. En littérature, il faut un certain recul pour faire sortir le ridicule. De près, cela manque de perspective. Sans doute,

L’animal recouvert de son épaisse croûte,
Celui dont la coquille est arrondie en voûte

ne semblent mis là que pour ne pas nommer le