le posséder encore et avec les mêmes circonstances[1]. » Mais les circonstances ne sont jamais les mêmes. Voilà pourquoi on est déçu par les femmes comme par les livres, et pourquoi aussi la femme ou le livre qui ne nous déçoivent pas, c’est que nous n’avons pu en pénétrer tout le mystère, supérieur aux changeantes circonstances, aux changeants nous-mêmes. Restons avec les livres. Je crois en effet qu’on ne les aime profondément qu’en raison du mystère qu’ils contiennent, qu’on y trouve ou qu’on y met. L’œuvre des Goncourt, comme celle de leurs compagnons de route, comme celle des Zola et des Daudet, manque d’au delà. Il y a une belle maison dans un beau jardin, mais entouré d’infranchissables murs. Quand on a visité cette propriété bâtie et bien close, on a tout vu. Il n’y a pas d’horizon.
La littérature romanesque des Goncourt est la répétition des anecdotes de la vie. Tout ce qui est arrivé sous leurs yeux, tout ce qui a été entendu par leurs oreilles est groupé dans leurs romans selon une logique mal déterminée par le caractère des personnages : souvent ils inventent ces personnages uniquement pour mettre à leur charge tel groupe d’anecdotes pittoresques. Aussi, ce qu’il y a de vrai en ces romans, ce ne sont pas les figures mêmes, mais leurs gestes ; non pas leurs pensées,
- ↑ Éthique, III. Proposition 36.