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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér5, 1923.djvu/80

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douloureux auquel se complaît tristement son orgueil. Il l’a décrit et prédit dès 1822, à l’âge de vingt-cinq ans, dans son Moïse, qui est peut-être son plus beau poème :

Les anges sont jaloux et m’admirent entre eux.
Et cependant, Seigneur, je ne suis pas heureux.
Vous m’avez fait vieillir puissant et solitaire,
Laissez-moi m’endormir du sommeil de la terre.

L’homme qui, si jeune, pensait ainsi, était marqué. Il connaissait la destinée écrite dans son sang et dans ses nerfs et il l’a volontairement et courageusement vécue. Ce qu’il y a d’affectation dans Vigny s’abolit sous la main de la nécessité. Il serait naïf de dire qu’il ne pouvait pas être autre qu’il n’était. C’est trop évident. Je veux indiquer que le défaut capital de son caractère était une tendance qu’il cultiva peut-être moins qu’il ne dut la subir.

II

On a quelquefois contesté les dates mises par Alfred de Vigny au bas de chacun de ses poèmes, pour ce que la tristesse dont ils sont empreints contraste avec l’esprit de l’époque et devance la grande mélancolie romantique. Quelques-unes de ces dates s’accordent fort bien avec celles mêmes