Aller au contenu

Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér5, 1923.djvu/89

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

page de philosophie. » Hélas ! quand on veut mettre dans un drame de la philosophie, elle y reste presque toujours à l’état d’intention. Y a-t-il une série d’études qui en comporte moins que les Études philosophiques de Balzac ? Tout grand esprit a naturellement sa philosophie, mais il ne faut pas qu’il veuille trop la systématiser. Elle lui échappe au moment même qu’il croit la tenir et la fixer. La vraie philosophie d’Alfred de Vigny est éparse dans son œuvre, déjà trop fixée dans le Journal, où la pensée s’exagère à elle-même sa logique. On pourrait la voir symbolisée dans le vieil officier de Laurette ou le Cachet rouge, qui s’en va traînant après lui la tragique petite voiture où gît l’être égaré qui est à la fois son remords et sa gloire. Faites, comme cet homme, votre devoir sans espérance, sans sourire, et que la conscience de ce devoir vous soit un sombre contentement. Cela, et un morceau de pain dur partagé au bord de la route, sous la pluie c’est tout ce qui vous attend ; ne prétendez pas au delà. Schopenhauer inventa le pessimisme idéaliste, qui ne s’oppose point à l’exercice de la vie. Alfred de Vigny, à peu près dans le même temps, avait inventé le pessimisme pratique, qui décolora l’existence et la rend pareille à celle que vivent ceux qui s’entassent derrière la porte où il est écrit :

Voi qu’entrate, lasciate ogni speranza.