Page:Gourmont - Sixtine, 1923.djvu/111

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des sourcils sur de lourdes paupières, l’une toute distendue, l’autre à petits plis toute froncée.

Rien de caricatural, mais l’impression subie était pénible.

L’éventaire d’une marchande d’oranges, au coin de la rue de Marengo, et, sous les trois arcades suivantes, divers embarras de caisses, de petits camions parurent l’exaspérer ; elle prit son élan, courut alla frapper du genou le quatrième pilier, puis le cinquième, puis les autres, mais posément, maintenant, comme une personne qui se promène avec indifférence. Si des causeurs masquaient un pilier, elle attendait, donnait son coup de genou, repartait ; si la distraction des étalages l’avait attirée vers l’autre côté du promenoir elle revenait sur ses pas, vite, comme avec un remords d’avoir franchi un des degrés de sa voie douloureuse. La stricte obéissance à l’impulsion ne l’empêchait pas de prendre garde à la curiosité des passants, mais elle avait acquis, sans doute par une longue pratique, une telle habileté, une telle rouerie d’allure, que nul ne la remarquait.

Elle traversa la place du Palais-Royal, gagna de refuge en refuge l’avenue de l’Opéra, tout en se frôlant aux becs de gaz, aux arbres, aux colonnes. Là, elle recommença son manège avec cette variation qu’elle cognait du genou chaque porte de boutique, les portes seulement. L’une était ouverte ; elle attendit, comme devant un précipice, considérant les rideaux de peluche rouge d’une modiste mal famée, ayant l’air si malheureux qu’Entragues, d’un très discret salut, osa l’aborder :