Page:Gourmont - Sixtine, 1923.djvu/195

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six heures, alors je fais de bonnes journées ; l’hiver, à peine a-t-on le temps de s’installer.

— Et tu ne fais rien ?

— Non, j’attends. Je suis comme l’écolier de la légende : j’attends qu’on sorte.

— Ah ! mais, mon cher Oury, sais-tu que ta psychologie est du plus vif intérêt. « J’attends qu’on sorte !  » Ta devise est la devise même de l’humanité. Elle est admirable, elle est le schéma de la vie, tu es un homme, Oury, tu es l’homme, tu es symbolique.

— Peut-être, mais je n’en tire aucune vanité. Pourtant mon existence est singulière et je crois que peu de créatures auront vécu des jours aussi dénués d’incidents. Assieds-toi donc, nous causerons ; je puis bien sacrifier une heure ou deux à un vieil ami.

Entragues consentit volontiers.

— Tu me croyais en province ? commença Oury. Non, je suis un disparu, mais non pas un provincial. Là-bas, tu vois ? au bureau, il y a un monsieur à cheveux gris, très aimable. Je salue, il me sourit, et m’offre un petit papier que je prends. Je souris aussi, car ce papier qui sert à demander un ouvrage m’est inutile. Je ne viens pas travailler, mais regarder travailler.

Je passe là quatre ou cinq heures fort agréables.

Le matin, chez moi, c’est autre chose. Le temps se traîne comme un serpent, se tord, baille et me mord et m’insinue le venin cataleptique de l’ennui.

Parfois, quand il fait beau, j’ouvre ma fenêtre, et je regarde vers de lointains arbres ; en d’autres