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Page:Gourmont - Sixtine, 1923.djvu/221

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« Quand un fait s’est produit, il se reproduit toujours une seconde fois.— C’est l’axiome. Il est évident que pour le démontrer, il faudrait se munir d’une multiplicité d’anecdotes historiques, et je ne sais si cela serait possible. Pour ce qui est de moi et de ma vie écoulée, il est d’une surprenante et d’une effrayante exactitude, si bien que je pourrais, je crois prédire environ la moitié de ce qui m’arrivera d’ici le sommeil final. Au reste, cet axiome m’est peut-être tout personnel, spécial à mon organisme. Une telle tendance à la répétition n’est la source d’aucune joie. Je veux bien que les plaisirs se trouvent doublés comme les peines et que la proportion, en somme, reste la même, mais considère l’infirmité de la mathématique appliquée à l’âme humaine : si j’ai sept douleurs pour une félicité, cela m’est moins pénible, assurément que d’en porter un double poids contrebalancé par une aussi faible duplication que celle de un en deux. Prolongées vers l’infini les deux proportions s’en iraient éternellement équilibrées, mais le plateau des peines se brise avec ses chaînes et nous écrase le cœur.

À la sommation de Calixte, adroit à faire dévier une causerie engagée sur la route des abîmes, Entragues conta à son ami quelques-uns de ses plans. Que d’œuvres à construire ! Ce n’étaient pas les pierres de taille qui manquaient, ni les ciments, ni les accessoires, mais le temps. Il avait, prêtes à s’édifier, plus d’idées qu’un siècle n’en pourrait utiliser, et parfois ce qui ne serait jamais fait l’effrayait et le hantait comme un pullulement de gnomes. Certains matins,