Page:Gourmont - Sixtine, 1923.djvu/42

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ou ne parle qu’à Mme Aubry. Ensuite, promenade au clair de la lune, puis les voisins demandent leurs voitures ; Fortier disparaît avec la comtesse. Paysant me prend le bras et bavarde.

Il gémit sur ses ennuis de chef de bureau de la littérature ; son goût maintenant l’arrêterait au repos, même à la fainéantise, mais pas une semaine qu’un éditeur, ancien ou nouveau, ne vienne lui suppliquer un volume pour relever ses affaires ou lancer sa librairie. Aussi, sa gauloiserie comprimée s’éveillerait volontiers en quelques contes gaillards : mais l’unité de son œuvre ? Cela ne serait plus du Paysant, et l’Académie froncerait peut-être le sourcil. Il essaie de rire, mais on sent au fond de sa respectueuse cervelle une craintive vénération. Un silence, et goulûment il me décrit la jeune femme que j’avais remarquée. La technique du praticien donne à son éloquence un ton désintéressé, mais on devine la bouche mouillée et la main, avec des gestes pétrisseurs, caresse les formes absentes. Je prétends que les femmes ne sont ni belles ni laides, et que tout leur charme s’irradie de leur sexe ; le désir esquisse la beauté et l’amour l’achève. Tel laideron, au sens du vulgaire, a pu revêtir une idéale beauté ; telle autre femme que tous jugèrent admirable n’a pas franchi les limbes de l’ébauche, n’ayant jamais été aimée. Paysant a hurlé au paradoxe : la beauté féminine est réelle et indépendante du sentiment. Elle se palpe, n’est-ce pas ? Sans doute, c’est même un plaisir spécial, oui spécial. En le poussant adroitement, on lui ferait avouer des goûts de frôleur et de toucheur sénile, mais, je ne sais pourquoi,