Page:Gourmont - Sixtine, 1923.djvu/48

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Bac, où il avait commencé de sentir sa présence jusqu’à la place Saint-Michel. La Seine charmante et radieuse s’irisait des rayons obliques qui la frappaient à contre courant ; les proues soulevaient une étincelante écume ; la frange dentelée des toiles bises claquait comme des flammes ; les pontons çà et là grondaient sous le choc ; les parapets multicolores s’en allaient.

Entragues ne collecta aucun lexique ; il regardait les dos serrés des livres, sans lire seulement les titres noirs ou dorés.

En un endroit désert, le long de la balustrade de bois, et comme le premier gaz s’allumait au café, en face, un jeune homme qui passait pour poète, peut-être à cause de la rare beauté de sa figure, l’aborda et lui dit :

— « C’est singulier, vous êtes seul et on jurerait qu’une invisible personne vous accompagne ?

— « Je suis seul, maintenant, mon cher Sanglade. »

Sixtine, en effet, venait de disparaître aux yeux d’Entragues, et Sanglade eut l’impression d’avoir maladroitement troublé un tête-à-tête, impression toute métaphorique, car il ajouta, avec son air de timidité railleuse :

— « Vous cherchiez des rimes, je vais vous en donner, je les ai toutes à mon commandement. Sans cela, serais-je poète.

— Oui, sans cela, vous pourriez être poète.

— En prose, peut-être, reprit Sanglade, mais en vers ? »

Entragues se laissa battre exprès, n’ayant point