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soir pour donner un commentaire à son Rêve. Seuls auditeurs : les quatre murs et

Sixtine MAGNE. »

Déjà deux joies et il n’était pas midi. À cette heure seulement on lui montait sa rare correspondance, les précieuses matinées ne devant être troublées par aucune intrusion du problématique monde extérieur. Même au milieu d’un assez fiévreux contentement, il ne regretta pas la consigne donnée une fois pour toutes ; le billet de Sixtine arrivait à un moment où il pouvait songer à loisir et sans remords. Son plaisir se manifestait par une vivacité de mouvements toute juvénile ; de sa précoce maturité surgissait une apparence d’adolescence. Bien qu’alors il fût incapable de se rendre clairement compte de ses impressions, il se sentait rajeuni soudain et s’en étonnait. Ce mot ne lui semblait pas banal et il s’étonnait encore. Des gestes prestes l’eurent vite habillé.

La rue Notre-Dame-des-Champs était presque gaie.

Le Luxembourg qu’il traversa ensuite resplendissait d’une mordorure ensoleillée, plein d’enfants jolis et de flambants rubans. Vers l’Odéon il commença à ne plus rien voir autour de lui, une nuée rayonnante l’enveloppait. Dans l’après-midi, ayant déjeuné sans trop savoir où ni comment, il se trouva sur le Pont-Neuf, et se recueillit un peu. La présence d’esprit lui revint et d’un dernier souffle dissipant son nuage, il se mit à jouir consciencieusement de son bonheur. Le moment fut court : accoudé, regardant l’eau éternelle, il sentit le précurseur frisson qu’il connaissait bien, l’aure glacée du spleen siffla dans