Page:Gourmont - Sixtine, 1923.djvu/83

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turc, l’éponger, la frotter jusqu’au sang. Vous êtes trop indulgent, Monsieur d’Entragues.

— Entragues, fit Calixte Héliot, qui entrait, n’aime que l’art et ne s’intéresse qu’au style.

— Quelle nouveauté ! répliqua Entragues. Par malheur, l’art ne suffit pas à produire le style ; un don est nécessaire. Sans ce que Vauvenargues appelle le cœur, Villiers le sentiment, Hello l’amour, la littérature est une pâte azyme. Voyez Flaubert, c’est l’artiste péremptoire et souverain mais qui, nativement, manquait d’amour. Pensez-vous que Villiers, par le plus incessant labeur, aurait pu effacer de son œuvre l’estampage de sa personnalité hautaine ! Comparez Bouvard et Pécuchet aux Contes cruels, c’est le génie patient et le génie spontané, le mépris résigné et le mépris indigné, l’esprit froissé et l’âme blessée…

— « Vous m’apportez votre poème, Héliot, n’est-ce pas ? demanda Fortier. Bien, qu’on le mette dans l’armoire aux chefs-d’œuvre.

— « Merci, dit simplement Calixte, en ouvrant un vaste portefeuille.

Il en tira son manuscrit, où, formulé en très belle bâtarde, se lisait à la première page le nom de l’auteur, Calixte Héliot : de ce prénom rare il était fier ; puis, un petit carton dont il dénoua lentement les cordons bleus :

— « Tenez, Fortier, en voilà un, de chef-d’œuvre. Hein, qu’en pense Van Baël ?

Le critique d’art prit le petit papier jaune, une fine eau-forte et prononça :

— « Joli, très joli, un peu noir, trop de morsure : de