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UN CŒUR VIRGINAL

Hortense rêvait. Léonor désirait. Il ne pensait à la maîtresse d’hier, quand il y pensait, que pour en faire la maîtresse de demain. Son sentimentalisme était matériel. Il passait le ruisseau de pierre en pierre, de réalité en réalité. À défaut d’Hortense, il avait pris Gratienne, non par besoin physique, mais par besoin cérébral. Il lui fallait, pour vivre, l’électuaire de deux ou trois sensations, toujours les mêmes, mais toujours fraîches. Était-il capable d’un sentiment profond et un tel amour eût-il influé sur ses habitudes physiologiques ? Il n’en savait rien. Fidèle aux théories de Bouret, il ne le croyait pas.

Il écrivit à Hortense : « Je veux que tu viennes. » Elle fut effrayée, mais heureuse :

« Comme il m’aime ! »

La volupté d’obéir lutta longtemps en elle avec la peur. La peur, à certains moments, cédait.

« Puisqu’il veut que je vienne, c’est qu’il sait que je puis venir, qu’il n’y a pas de danger. Et puis, il sera là, lui ! »