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BALZAC CHEZ LUI.

certaine greffe ; celle enfin qu’on mange, qui parfume la bouche et le cœur. Cette pêche exquise, c’est nous qui l’avons faite : elle est la seule réelle. Même procédé chez moi. J’obtiens la réalité dans mes romans, comme Montreuil obtient la réalité dans ses pêches. Je suis jardinier en livres. »

Vidocq versa lentement de l’eau-de-vie dans son café et se borna, pour toute réponse, à promener la tasse sous son nez.

« Vous n’êtes pas convaincu, je le vois, mon cher monsieur Vidocq ; mais toutes les fois que des gens sont venus me dire : « — Monsieur de Balzac, j’ai un superbe sujet de roman à vous confier ; vous ferez un chef-d’œuvre avec ça ; » — je n’ai rien trouvé qui valût la peine… Quand le fait y était, les détails, qui sont tout, les détails manquaient complètement, quand, au contraire, on m’apportait de jolis détails, bien gais, bien friands, à se lécher les badigoinces, comme dit mon compatriote Rabelais, le sujet n’existait pas. Toujours la pêche de Montreuil, toujours le chasselas de Fontainebleau et la poire de Bon-Chrétien. Ça se fait, ça ne vient pas seul. »

Vidocq, en tenant sa tasse en l’air après l’avoir vidée à demi et de manière à ne laisser voir qu’un œil entre