Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/140

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— La voici !… à ton poste.

— J’espère, mademoiselle, dit Lanisette, forcé d’être aimable à brûle-pourpoint, que voilà du champagne qui ne sera pas naturel dans un instant.

— Pourquoi cela ? demanda Manette ;

— Parce qu’il sera mêlé à Lanisette.

— Bravo ! dit le père Leveneur, c’est comme qui dirait une farce, un calembour.

— Je n’en sais fichtre rien, répliqua le conducteur ; mais, à propos de farce, dit-il en regardant Manette de cet œil qu’il clignait si amoureusement, je vais vous en dire une de mon ancien patron, M. Jorry, le maître de poste de Prévallon. Ah ! elle est bonne, celle-là !

— Mon Dieu ! qu’il se fait tard pensait Manette ; il n’y aura plus de lumière à la croisée.

— M. Jorry donc… Où en étais-je déjà, père Leveneur ? votre petit blanc est perfide. Ah ! m’y voici : M. Jorry avait comme vous, monsieur Leveneur, un beau rosier de fille à marier ; on supposait qu’elle aurait une fière dot avec ça, et des espérances en vignes, en maisons, bref, le tremblement ; car le père Jorry est, comme le père Leveneur, cousu d’or et de propriétés… Ah ! pardon, père Leveneur, je ne me croyais pas chez vous.

— Va toujours, mon garçon.

— À votre bonne santé, monsieur, madame et mademoiselle.

Manette se leva, et alla demander tout, bas à sa mère la permission de se retirer ; il allait être minuit.

Leveneur, ayant deviné le motif pour lequel sa fille avait quitté sa place, lui fit un geste impératif, et elle alla se rasseoir. Elle pensa tristement qu’elle ne verrait pas la chère petite lumière de Saint-Michel-hors-les-Bois :

Lanisette poursuivit :