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Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/142

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sique, la danse, et quoi encore ? pour ne pas savoir que les maîtres de poste font payer aux voyageurs, par un usage qui n’a jamais changé, un cheval en plus de ceux qu’ils leur fournissent ; cheval fabuleusement supplémentaire, que personne n’a jamais vu ; et qui est pourtant le plus clair et le plus beau de leurs bénéfices. Mais Lanisette aura le temps de vous apprendre cela quand vous serez… Suffit, dit M. Leveneur ; et se tournant vers le conducteur : Mon bon Lanisette, il faut l’excuser, on lui a appris le latin. Vous pouvez vous retirer. Nous avons, votre mère et moi, à causer longuement de vous avec M. Lanisette.

Manette, retenant deux grosses larmes dans ses yeux, se leva, et alla embrasser son père et sa mère.

— Et Lanisette ? dit M. Leveneur en lui désignant la joue écarlate du conducteur.

— Jamais, mon père.

— Jamais !

Et, d’un mouvement plein de noblesse, Manette prit un des flambeaux posés sur la table, et se retira avec une telle dignité, que Leveneur, cloué sur sa chaise, ne fit entendre un ricanement de colère que lorsque sa fille franchissait déjà les premières marches de l’escalier.

Madame Leveneur tremblait comme une personne nerveuse à l’approche de l’orage. Lanisette, qui avait reçu la commotion de cette noble sortie, finit par dire : « C’est une jeunesse délicate, faut des ménagements, père Leveneur. » Un trentième verre de vin le consola de l’absence du baiser.

Comme pour se venger d’un acte de rébellion que dans son âme il attribuait à sa femme, Leveneur dit aussitôt que Manette ne fut plus présente :

— Madame Leveneur a jeté les yeux sur toi, mon garçon, pour être le mari de notre fille Manette.