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Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/238

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de la canonnade, pour ne plus revenir. Oh ! qu’elle est triste, qu’elle est triste cette belle forêt de Soigne ! Je ne croirai jamais que la Providence ne l’avait pas choisie pour les grandes choses qu’elle a vues, et dont elle a gardé les sinistres mystères dans le pli de ses feuilles, dans la profondeur de ses ombres. Dieu fait le théâtre pour les actions. Une armée, cent mille hommes, devaient mourir là. C’était écrit !

— Vraiment ! dis-je au cocher pour détourner le cours de mes idées, croyez-vous qu’il y ait des gens assez fripons pour spéculer ainsi sur la curiosité des personnes qui se rendent à Waterloo ?

— Ah ! monsieur, me répondit-il, je ne vous ai pas dit tous les tours, qu’ils jouent aux pauvres étrangers crédules : D’abord, il serait difficile de les dire tous ; si vous permettiez… en voici un dont je fus témoin un jour que je ramenais de Waterloo à Bruxelles un peintre français et un Prussien. Le Prussien tenait soigneusement sur ses genoux, un objet caché dans un mouchoir. Comme nous étions à mi-chemin, il dit au Français : « — Rapportez-vous quelque souvenir de votre pèlerinage à Waterloo ? — Ma foi non, répliqua celui-ci ; pourtant j’ai été sur le point de faire une acquisition assez originale, mais ou me demandait trop cher… cent francs… Ensuite, l’embarras d’emporter cette bizarre emplette… C’était fort curieux !… — Qu’était-ce donc ? — Vous-ne vous fâcherez pas si je vous le dis, répondit le peintre français : c’était le crâne d’un colonel prussien, un crâne magnifique, admirable, d’autant plus admirable qu’il était percé de trois trous faits par les balles, les balles de Waterloo ! un au milieu du front, les deux autres aux tempes. Je n’aurais pas été faché, je l’avoue, de me faire monter une lampe avec le crâne d’un colonel prussien tué par les Français. Je me passerai de ce luxe. Et vous, monsieur ?… continua-t-il.