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Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/24

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château à machecoulis. Les femmes du monde m’avaient blasé ; une femme de la campagne, pensai-je, me soufflera une seconde vie, changera mes horizons, comme disent les poëtes, et d’autres sensations me rendront le cœur meilleur et l’esprit plus content. Enfin j’avais arrêté d’épouser une femme, simple. Qui mieux choisir que Lucette ? Pour que ma transformation fût complète, je me promis de me faire simple comme elle dans la vie nouvelle que j’allais lui devoir. Ceux qui le trouveraient mauvais détourneraient la tête. Je résolus, en l’épousant, de voir ses parents, de me lier le plus intimement possible avec son père, le fermier, avec son oncle, qui a une scierie de planches sur l’Étampes, avec ses cousins, des meuniers, des marchands de blé, des marchands de fourrages. Tu souris…

— Un peu… Je vois venir…

— Tu ne vois rien venir, je te l’assure. Enfin j’épousai Lucette Vernon.

— Te voilà en plein fourrage, comme tu le désirais.

— Comme je le désirais. La lune de miel…

— Monsieur, vint, dire une seconde fois Mistral au commandant, mademoiselle Suzon a aussi emporté la clef de l’armoire où l’on met l’huile et les épiceries.

Après avoir jeté à Mistral un regard qui l’eût fendu s’il eût été de marbre, le commandant lui dit, toujours sans être entendu de M. de Morieux :

— Qu’on aille acheter de l’huile au village, et délivre-moi de toi.

Mistral se retira très-peu rassuré.

— Tu disais donc que la lune de miel… reprit le commandant, cherchant à déguiser le plus possible la contrariété sous-marine que venait de lui causer Mistral.

— Que la lune de miel fut du meilleur miel, du miel de Narbonne. Mon bonheur le plus doux, le plus vrai, le