Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/246

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village, Waterloo, porta pendant assez longtemps, chez nous, celui de bataille de Mont-Saint-Jean, tandis que les Prussiens la nomment la bataille de la Belle-Alliance. Ces trois qualifications sont fondées : les Français occupaient le revers de Mont-Saint-Jean, les Anglais couvraient le versant opposé, et s’adossaient, par conséquent, à Waterloo, et les Prussiens, vers la fin du combat, rabattirent sur la ferme de la Belle-Alliance, où Blücher et Wellington se rencontrèrent après la victoire. Si le village de Mont-Saint-Jean n’a pas d’église, il a les principales auberges, celles où d’habitude les étrangers viennent se reposer, et prendre dans un déjeuner frugal des forces nouvelles pour mesurer la vaste arène dont chaque place mérite un souvenir, et gravir la montagne du Lion. Sans l’argent qu’ils y laissent, les deux villages seraient moins que rien. Grâce au tribut perpétuel que verse la curiosité du monde entier, Mont-Saint-Jean et Waterloo se sont agrandis ; il serait plus exact de dire qu’ils se sont allongés du double depuis 1815, car ils ne se composent, l’un et l’autre, que d’une seule rue, coupée dans son milieu par une lacune de deux kilomètres. C’est dans le prolongement de cette rue — qui n’est autre chose, comme nous l’avons déjà dit, que la route de Gennape — que viennent se placer et se ranger à la file, par un jeu ironique de la destinée, les noms les plus retentissants, les plus, grandioses de l’histoire moderne. Ces noms, qui, il y a quarante ans, ne désignaient que de pauvres fermes perdues dans les bois et dans la boue des champs, sont aujourd’hui des noms impérissables. Waterloo, Mont-Saint-Jean, la Belle-Alliance, Quatre-Bras, la ferme du Caillou, ces fermes où l’on faisait du beurre, ont remplacé Babylone, Tyr, Memphis, Carthage, dans les honneurs de la mémoire. Le lait est devenu du sang : voilà la gloire !