Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/312

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coffre se ferma. De nouveau elle l’ouvrit, et, avec une piété de sainte qui touche une relique, avec l’avidité ingénue d’une fiancée qui examine un à un les présents de noces, la malade en retira le trousseau de sa fille. Linges d’enfant encore parfumés de la prairie où ils ont séché, chemisettes brodées, bonnets toujours trop grands ou trop petits, et sous lesquels l’enfant est si gracieusement ridicule, qu’il en rit lui-même ; souliers qui se perdent dans la poche de la nourrice, et avec lesquels il n’a jamais marché que dans la main de sa mère ; et des joujoux sans fin, des poupées roses et joufflues, sœurs de carton qui ont partagé tous les baisers que la sœur vivante a reçus. Mistress Philipps reprenait ces baisers sur leurs joues. Ensuite elle élevait par chaque manche les petites chemises de Lucy, et elle imprimait au-dessus de l’échancrure, à la place où devait être le cou, la tête blonde de sa fille, un baiser dans le vide. Et en repliant les chemises, elle leur disait : Farewell ! ce long adieu anglais, si tendre et si déchirant. Elle prenait aussi les petites robes qu’elle fronçait par la taille, jouait un instant, avec son illusion, pliait les robes, les baisait, les déposait dans le coffre, et leur disait : Adieu ! — Puis elle déployait les petits bas brodés où son bras décharné simulait la jambe mignonne et ferme de sa fille, baisait, les bas et leur disait : Adieu ! — Adieu aussi, et l’œil déjà à demi fermé, aux petits souliers avec lesquels l’enfant trottait, chancelait si bien ; adieu aux bonnets, adieu à tout ; adieu aux poupées qui avaient chacune un nom : adieu, adieu ! elle n’y voyait plus qu’elle allait encore à tâtons, effleurant ces soies, ces mousselines, ces rubans qu’elle portait à ses lèvres ; mais elle ne trouvait plus ses lèvres… Farewell !…

Et le couvercle retomba.

Ce coffre et ce lit !