Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/356

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l’autre navire coulait aussi ; celui-ci et celui-là n’étaient plus qu’à deux pieds du niveau de la mer, qui avait déjà étouffé, par une invasion soudaine, les deux équipages endormis dans l’entre pont.

— La chaloupe à la mer ! cria le capitaine Grenouille, ou nous buvons tous à la grande tasse !

Les huit matelots de quart coupèrent les liens de la chaloupe, et s’y jetèrent à la hâte, suivis de dix matelots et du capitaine de l’autre navire submergé.

— Tout le monde y est-il ? — demanda le capitaine Grenouille.

Et il s’élança à son tour dans la chaloupe.

Les deux navires coulèrent ensemble, et si peu de temps après rembarquement des vingt naufragés, qu’ils faillirent être entraînés dans le trou ouvert par le grand déplacement d’eau. Tout le reste de la nuit, les naufragés des deux bâtiments gardèrent le plus profond silence, ne s’occupant que du soin le plus pressant, celui d’égoutter sans cesse la chaloupe. Le capitaine Grenouille s’était couché dans le fond de la barque, roulé dans son paletot ; il jurait comme un païen de ne plus être en état de consommer sa vengeance. Au petit jour, le froid le saisit ; il se leva et regarda autour de lui ; était-il bien éveillé ? une voix lui dit :

— Bonjour, capitaine Grenouille !

C’était le capitaine Gueux ! Le corsaire normand s’empare de la hache de l’un de ses matelots et veut fendre l’Anglais ; les dix marins de celui-ci se lèvent : tous les bras sont eh l’air.

La réflexion ramena bien vite le calme parmi ces hommes aussi intéressés les uns que les autres à s’épargner, à s’aider de leurs forces, à mettre en commun leur énergie pour se tirer du pas périlleux où ils étaient engagés. Chacun reprit sa place ; le capitaine Gueux en offrit une au-