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le dragon rouge.

yeux, près de ses lèvres ; il pensait qu’il l’aimait, et, quoique trop confiant en lui-même pour douter de l’amour de mademoiselle de Canilly pour lui, il souffrait comme il n’avait pas encore souffert de sa vie.

Arrivée chez elle, Casimire s’écria, dans la plus profonde agitation : Tant de gloire ! et il n’en dit rien dans sa lettre. Sa lettre n’a plus le même sens pour moi. Je ne puis croire à tant de modestie ; la modestie ne va pas si loin dans le cœur d’un jeune homme à son premier succès. Je me suis trompée, ou plutôt ma première pensée était juste ; j’ai eu tort de rejeter cette impression trop naturelle, trop soudaine, pour n’être pas vraie. Il m’a oubliée pour la gloire, pour la renommée dont il ne connaissait pas encore les charmes. Voilà ce qu’il aime, voilà ce qu’il attendait en courant loin de moi risquer sa vie : un nom retentissant, porté de bouche en bouche, salué en plein théâtre. Il m’a fait seulement la faveur de m’apprendre qu’il n’était pas mort ; il a gardé pour les autres le spectacle de son illustration. J’ai vu ce soir mille femmes aussi heureuses, aussi fières que moi de sa célébrité ; comme si sa gloire, comme si tout ce qui le touche ne m’appartenait pas. Que suis-je de plus qu’elles ? Je ne veux pas de ce partage. Il n’aimera que moi, ou je ne veux plus être aimée. Obscur, on me l’eût laissé tout entier ; illustre, je n’ai qu’une faible part de son attention ; moi qui l’aimais tant quand personne ne le remarquait encore, moi qui l’eusse préféré à de plus nobles que lui. Ah ! pourquoi suis-je privée de cette générosité où je puisais tant de bonheur et de sécurité ?

En roulant dans sa tête ses pensées de jalousie, sentiment dont elle éprouvait pour la première fois les atteintes, Casimire s’assit devant une table et elle écrivit, au bruit de ses émotions, les lignes suivantes :

« Monsieur le commandeur,

« Il est bien heureux pour moi d’apprendre par la voix pu-