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le dragon rouge.

pas ?… ch bien ! mon cher commandeur, je me suis senti le courage d’imiter nos aïeux… Je me marie… Voilà, me direz-vous, une singulière fantaisie, une capucinade amusante ; riez-en avec vos camarades, faites-en rire même les Turcs dans leurs barbes, si vous ne les leur avez pas entièrement arrachées ; mais c’est un plongeon à peu près fait ; je dis bien à peu près, car, lorsque cette ébouriffante nouvelle vous arrivera, je serai sur le point de marcher à l’autel… oui, de marcher à l’autel.

« Me voyez-vous, flanqué d’un bouquet d’oranger, à genoux entre deux chérubins, et jurant d’être toujours fidèle à madame la marquise, votre belle-sœur, s’il vous plaît. Parole d’honneur, je me marie par amour… Je suis trop homme du monde… trop de mon siècle, pour me flatter d’une passion romanesque ; mais, en vérité, j’éprouve une affection réelle en me précipitant dans l’abîme du mariage. J’ai jeté le plus de roses et de duvet de cygne que j’ai pu au fond de cet abîme. Je veux dire que les fêtes vont se succéder dans mon palais, que de frère à frère il me serait permis de comparer à Versailles, si Versailles était achevé. Mon convoi funèbre ne laissera rien à désirer. Puissiez-vous, pour distraire vos veillées de bivouacs, voir passer les jolies femmes que j’aurai à mes noces, et en retenir quelques-unes par les rubans de leurs ceintures. Je veux qu’on boive trois fois par nuit à votre santé… c’est tout ce que je puis faire pour vous à la distance où vous vous tenez ; comptez sur ma promesse et sur la Pologne.

« Mais je suis un profond étourdi, sur ma parole, voilà cinq minutes que je vous fatigue de mon mariage, et je ne vous ai pas encore dit qui j’épousais.

« Si vous eussiez été à Varsovie dans ces derniers temps, je n’aurais pas manqué de vous consulter sur le choix qu’il m’a convenu de faire, et à coup sûr vous l’eussiez approuvé ; car, peu porté, comme vous m’avez toujours paru, à serrer le nœud conjugal, il vous est à peu près indifférent de savoir qui l’on